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Des escaliers. Tant pis pour le premier étage. Cette rencontre nous a secoués tous les deux plus que je ne saurais dire.

Claude louvoie entre les couvercles de sarcophages. Partout les mêmes visages peints, les yeux grands ouverts.

« Les gisants, chez nous, ont les yeux fermés. Eux n’ont pas peur, ils regardent. »

Un autre monde, une autre mort. Pas de mort du tout, d’ailleurs, il n’y a rien de moins funéraire que cet art qui entasse les cercueils et bâtit les plus grands tombeaux de l’univers.

Je regarde le masque mortuaire d’un des maîtres de Thèbes : il y a comme une espièglerie dans les yeux d’émail cernés d’un maquillage de danseur étoile. Là encore, le message transparaît : il nous dit de ne pas avoir peur, tout continue toujours, l’au-delà est une vie autre et le mystère qui nous terrifie ne vaut pas plus qu’une esquisse de sourire.

« Je craque, dit Claude, ils ont mis trop de choses dans leurs œuvres, je ne suis pas assez forte pour tenir le choc. »

Voilà l’entrée. Par la haute porte, la ville est là, ensoleillée, découpée dans le grand rectangle de lumière jaune. Les touristes tournent autour des guichets, près des cartes postales et des dépliants de diapositives.

Malgré leur ridicule, leurs bavardages, je les retrouve avec plaisir, comme un refuge. Ils sont mes semblables, versatiles, médiocres, avides, légers.

« Je te dis que Mafleu m’avait dit qu’on pouvait faire des photos à l’intérieur ! »

Le Godreau plisse les lèvres et se met à ressembler à un baril de saumure concentrée.

« Il est bien renseigné, Mafleu ! Tu le féliciteras. »

Godreau tourne, dans ses doigts, son téléobjectif inemployé. Il est lamentable.

« Il est venu en 75, peut-être que ça a changé depuis. »

Sourire guillotine du Godreau femelle.

« Si tu crois ce qu’il te dit, évidemment… »

Les yeux ronds du Godreau mâle jaillissent mollement des orbites et vont couler le long de ses joues flasques.

« Mais pourquoi tu veux que je ne croie pas Mafleu ? »

Rictus couperet.

« De toute façon, tu crois tout ce que l’on te dit… »

Nous nous écartons. J’ai envie de leur conseiller d’aller méditer un peu devant la statue des princes. Claude me tend une cigarette tout allumée.

Des vendeurs s’approchent des marches : toute la bimbeloterie du tiers monde… Accroupi au centre d’une pelouse, un jardinier arrache les mauvaises herbes une à une, en se servant de deux doigts avec une distinction racée. Il a, lui aussi, l’éternité devant lui. De toute manière, lorsqu’il sera arrivé à l’extrémité du terrain, elles auront repoussé à l’autre bout. Il reviendra alors pour recommencer son travail, et les soleils se succéderont.

Départ, ce soir, pour Louxor. Nous trouverons le bateau là-bas, et nous commencerons la lente remontée du fleuve jusqu’à Assouan. Tout va bien. Je suis heureux, parfaitement, je ne savais pas pouvoir l’être encore. Tout simplement parce que, sans doute, je ne l’avais jamais été.

Voilà les anciens. Mémé Flamier est en train de faire avaler à son époux des pastilles de vitamine B. Ça ne fait jamais de mal.

Mme Hélène rameute les retardataires. Le programme est changé : déjeuner le long du Nil, visite du souk, départ pour l’aéroport. Depuis qu’il a visité le musée, Beulart appelle son copain Gaston : Tout Ankh Gaston. Rires. Étrange couple de pépés : deux copains à casquettes et belote, qui sont sortis du fond de leur troquet de banlieue pour faire l’Égypte ensemble.

« Les pyramides ! »

Je me penche. On les discerne à peine, tout au loin, dans la brume, entre les cheminées d’usines.

« Des terrils à Hénin-Liétard », souffle Claude.

Nous les verrons plus tard, au retour. Mais y aura-t-il un retour ? Je ne sais plus… Le musée a disparu. Je ne reverrai plus le couple de calcaire. Je ne sais pourquoi, je ne puis me défaire de l’impression qu’ils m’attendaient, que je devais, un jour, me trouver devant ce tribunal, devant cette sentence de silence.

Les klaxons à nouveau.

 

 

 

Examens en série Même Marlène Dietrich ne s’est pas fait photographier les jambes autant que moi. Warton examine les photos avec gourmandise, hoche la tête, se triture des mains de garçon boucher et me parle de l’aquarium du Trocadéro qui lui a paru être le lieu de plus agréable lors de sa visite à Paris, en octobre 1957. Il est allé là-bas pour un congrès de chirurgie osseuse, a expédié son intervention en une heure et est parti se réfugier dans les poissons rouges et les tortues géantes pour lesquelles il paraît avoir une prédilection particulière. Nous nous entendons bien. J’espère qu’il s’entendra aussi bien avec mes fémurs, mes alvéoles, mes ligaments et mes cartilages dans lesquels il doit mettre pas mal d’ordre, à ce que j’ai cru comprendre.

Prises de sang toute la matinée, et une ponction dans la moelle épinière, ce qui ne ma pas procuré une joie évidente. Dans ces cas-là, j’imagine la tête que tu ferais, cela me donne du courage. Je te fais la bise, gros douillet. La suite demain, la journée de la pauvre Néfertiti a été rude. Je sommeille sur mon stylo.